Après le tollé, la controverse. L'article 124 de la loi "de simplification et de clarification du droit",
adoptée le 12 mai par les députés, provoque une polémique entre la commission des lois de l'Assemblé nationale et la chancellerie.
Qui, des députés ou des juristes du ministère de la justice, a supprimé la disposition numéro 1 de l'article 131-39 qui consacre la dissolution de la personne morale condamnée pour escroquerie, permettant ainsi à l'Eglise de scientologie d'échapper à une peine qui l'aurait définitivement contraint de cesser ses activités en France ?
Qui a tenu la plume ?
Le texte en question émane de la commission des lois de l'Assemblée. Son président, Jean-Luc Warsmann (UMP) ne cherche pas à le dissimuler. "On adopte deux lois de simplification du droit par an, une tous les six mois environ, explique le rapporteur de la loi du 12 mai, le député (UMP) Etienne Blanc. Ces textes ont pour ambition de rendre la loi plus cohérente et de faciliter le travail des magistrats."
Comme ceux qui l'ont précédé, celui-ci a fait l'objet de plusieurs moutures. Une première comprenant une quarantaine d'articles est arrivée le 17 juillet 2008 au ministère de la justice. Elle ne comportait pas l'article controversé. Celui-ci a été introduit dans une deuxième mouture qui présentait plusieurs modifications, transmises aux services de la justice quatre jours plus tard, le 21 juillet.
Dans cette version apparaît l'article 44 (il deviendra article 124 à l'issue du travail parlementaire), qui par souci de "cohérence" supprime la dissolution des personnes morales condamnées pour escroquerie.
"L'alimentation de ces textes provient de plusieurs sources. Un spécialiste du droit pénal a dû rédiger cette partie du texte", estime M. Blanc. Qui est ce spécialiste ?
Un magistrat ou un juriste de la chancellerie ? Un administrateur de la commission des lois ? Le
rapporteur ne le sait pas, pas plus que la chancellerie.
"Ce n'est pas quelqu'un de chez nous. Cette partie du texte nous est arrivée comme ça et n'a jamais donné lieu à la moindre remarque", assure-t-on à la direction générale des affaires criminelles et des grâces, un service de la chancellerie.
Lorsque ce texte est examiné au ministère de la justice, il ne suscite aucune réaction. Le 1er octobre 2008, le cabinet de l'ancienne ministre, Rachida Dati, adresse un courrier électronique à M. Warsmann, avec des propositions de modifications, mais aucune ne concerne l'article visé.
Votée deux semaines avant l'ouverture du procès à l'issue duquel l'Eglise de scientologie encourait la peine de dissolution, cette disposition est passée inaperçue. Malgré les nombreux échanges entre parlementaires et représentants du ministère de la justice, l'article en cause n'a jamais soulevé la moindre question.
Même les parlementaires en pointe dans la lutte contre les sectes ont voté cette loi, n'y voyant pas matière à contester. Mieux, le rapporteur, M. Blanc, assume cette modification :
"On a supprimé la dissolution des personnes morales coupables d'escroquerie tout en la conservant pour les coupables d'abus de confiance, parce qu'on a voulu faire une distinction", justifie Etienne Blanc, citant Montesquieu : "les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires".
Les dossiers judiciaires visant la Scientologie sont-ils maudits ?
Déjà, en 1998, une partie d'une procédure instruite au palais de justice de Paris avait mystérieusement disparu et n'a jamais été retrouvée.
Dernier épisode en date : au lendemain de la promulgation de la loi de simplification du droit, le 13 mai, la direction des affaires criminelles et des grâces a transmis une note de synthèse à tous les parquets de France.
La note signale spécialement trois dispositions mais n'a pas un mot pour l'article 124.
Pourtant, à trois semaines de l'ouverture du procès des scientologues, le parquet de Paris et les juges du tribunal correctionnel auraient été intéressés par cette nouveauté. Cela aurait évité au ministère public de requérir le 15 juin une peine caduque et de se trouver en porte à faux avec la loi.
Reste que si on commence à mieux entrevoir les origines de ce texte, l'auteur du fameux article 124 ne s'est toujours pas manifesté. "Qu'il se fasse connaître et l'affaire s'arrêtera là. Il sera facile de
l'interroger sur ses motivations et de découvrir s'il travaille ou non pour la Scientologie ou pour d'autres intérêts", suggère un proche de ce dossier.
Pour le Syndicat de la magistrature, au-delà du sort judiciaire réservée à la Scientologie, cette affaire révèle "les conditions déplorables dans lesquelles on fabrique du droit en France".
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