Selon le philosophe Frédéric Lenoir (philosophe et historien des religions, directeur du Monde des religions), le culte des morts, toujours vivace à la Toussaint, a fondé les grandes croyances de l'humanité. Entretien.
Vous commencez votre dernier ouvrage (1) en parlant de la mort. Pourquoi ?
Parce que l'on sait désormais, avec certitude, que les premières traces d'apparition du sentiment religieux sont liées au rituel de la mort. 100 000 ans avant Jésus-Christ, les hommes préhistoriques enterrent leurs morts d'une certaine manière. Ils donnent un sens à leur rituel. On voit des morts enterrés en position foetale, d'autres avec des armes ou de la nourriture, ou enterrés dans une certaine direction. Tous ces éléments nous font penser qu'il y avait une croyance possible dans une renaissance, dans une survie de l'âme après la mort.
C'est donc cette croyance d'une vie après la mort qui fonderait les religions ?
Exactement. La religion, c'est d'abord la croyance dans un au-delà de ce monde sensible. S'il n'y avait pas l'espérance d'une vie après la mort, peut-être que l'homme n'aurait jamais eu de sentiment religieux.
Comment, à partir de là, les différentes civilisations vont-elles appréhender la mort et l'au-delà de la mort ?
Dans les temps les plus anciens, il va y avoir la croyance dans une sorte de survie de l'âme, mais avec une dimension un peu sombre. C'est le monde du double. Puis vont se développer deux autres conceptions, avec une dimension éthique et morale. Grosso modo, ceux qui ont fait du bien vont avoir une survie positive après la mort. Ceux qui ont fait du mal seront punis.
Mais avec des différences d'approche entre l'Orient et l'Occident...
Oui. À l'intérieur de ce schéma, on a deux visions différentes. En Orient, c'est l'idée du karma. Puisqu'on a fait des actes positifs, on va avoir une bonne renaissance. C'est notamment la croyance dans une réincarnation possible. Si on a fait des actes mauvais, on va avoir une mauvaise renaissance. C'est la croyance dans une transmigration de l'âme. En Occident, et c'est notamment vrai pour le christianisme, la personne qui a fait du bien sera dans l'au-delà auprès de Dieu. Autrement dit au Paradis. C'est le stade du bonheur suprême. Si elle a fait le mal, elle sera dans un état de souffrance, en enfer. Entre les deux, le christianisme va inventer la notion de purgatoire, un état intermédiaire dans lequel il y a de la souffrance en vue d'accéder au Paradis. On le voit : dans toutes les religions, il y a cette idée que ce qu'on a fait sur terre est déterminant pour conditionner sa vie dans l'au-delà.
Ces croyances ont quand même évolué dans le temps, en particulier dans le christianisme ?
En fait, le Catéchisme de l'Église catholique n'a pas changé d'un iota là-dessus. Par contre, dans la pastorale de l'Église il y a eu deux évolutions. Les prêtres, aujourd'hui, ne parlent plus, comme avant, du paradis ou du purgatoire. La prédication chrétienne est très axée sur l'idée du bonheur sur terre et pas seulement dans l'au-delà. C'est l'idée que, si vous vivez dans la foi, vous serez plus heureux. Cela vous donnera de la joie et de la paix. C'est un changement très important car, au Moyen âge, on ne concevait pas le bonheur sur terre, mais uniquement dans l'au-delà. La deuxième chose, c'est que plus beaucoup de chrétiens ne croient à l'enfer. Il n'est pas pensable, estiment aussi des théologiens, qu'un Dieu entièrement bon puisse permettre la damnation éternelle d'un être créé par lui.
Mais on croit toujours, volontiers, au Paradis...
L'idée d'un Paradis et d'un bonheur éternel auprès de Dieu est une croyance qui, en effet, reste très forte. C'est un enseignement fondamental qui est au coeur des Évangiles et qu'il est difficile de remettre en cause. Je dirai même que c'est central dans le message chrétien.
Il semble qu'Halloween ait fait long feu et que la Toussaint garde toute son importance. Pourquoi ?
Halloween est effectivement en pleine régression et n'a pas fait souche comme dans les pays de culture anglo-saxonne. La Toussaint reste fortement ancrée dans les mentalités. Il est intéressant de constater qu'à côté d'une baisse continue de la pratique religieuse, il y a quelque chose qui résiste : ce sont les funérailles. 80 % des Français sont encore enterrés à l'église. À l'aube des temps préhistoriques, c'est le culte des morts qui apparaît comme le signe primordial du sentiment religieux. Aujourd'hui, ce qu'on maintient de sacré, dans une société sécularisée, c'est le besoin de rituel pour accompagner la mort.
Recueilli par Pierre TANGUY.
(1):Petit traité d'histoire des religions chez Plon.
Dim 2 Nov - 19:17
REMONTE !!!
