La signature du traité des Pyrénées en 1659 avait mis un terme définitif à l'éprouvante guerre de Trente ans. La France victorieuse est alors à l'apogée de sa puissance. C'est le moment qu'elle choisit pour réformer sa Justice.
Signe annonciateur du siècle des Lumières, le délit de sorcellerie est aboli par ce que l'histoire du Droit appelle le Code Louis, en fait deux édits promulgués en 1666 et 1670 par Colbert qui, notamment, dissocient les fonctions de lieutenant de police et de juge. La monarchie promet plus d'équité aux justiciables, mais l'Affaire des poisons contraindra le roi à faire marche arrière pour protéger sa maîtresse du scandale.
Car dès 1676, le nouveau système est mis à l'épreuve.
Après l'exécution de la marquise de Brinvilliers, jugée coupable de meurtre par empoisonnement sur les personnes de son époux, de ses père et mère, de ses frères, de son amant et de plusieurs des malades qu'elle visitait dans les hôpitaux de Paris, des rumeurs enflent dans la capitale. Les mouchards dénoncent les activités de faux monnayeurs qui, à l'époque, sont également souvent des manipulateurs de poisons. Les investigations mènent rapidement à Marie Bosse, réputée pour ses produits abortifs, soupçonnée d'avoir fourni des élixirs pour débarrasser des femmes de la noblesse de robe et de la haute bourgeoisie de leurs encombrants maris.
Arrêtée, soumise à la question, Marie Bosse dénonce à tours de bras. Malgré les ordonnances, l'opinion est convaincue qu'il s'agit d'un commerce avec le diable de grande ampleur et les jugements confirment ce sentiment général : Catherine Deshayes, connue comme « la veuve Voisin », est condamnée à mort et brûlée vive le 22 février 1680, après quoi sa fille, inquiétée elle aussi, lance des accusations contre certains des membres influents de la cour, qui s'emballe.
Le roi ordonne alors la réunion d'une Chambre « ardente » composée de juges choisis par lui, pour traiter ces « faits particuliers » qui touchent ses proches.
L'enquête remonte d'abord jusqu'aux sœurs Mancini, nièces du cardinal Mazarin, parrain du roi : Olympe, comtesse de Soissons, est contrainte à l'exil et Laure, duchesse de Mercœur, meurt opportunément en couches. Mais de nouvelles révélations atteignent la marquise de Montespan, la « sultane-reine », maîtresse en titre du roi et, accessoirement, mère de bâtards royaux légitimés.
Sa confidente, Mademoiselle des Œillets, est formellement reconnue par la fille Deshayes comme « la dame à double-queue » qui assistait à des messes noires accompagnées d'infanticides pour lesquels le concours de Marie Bosse était indispensable.
Ces rituels devaient avoir pour but de ramener le roi à Madame de Montespan dont il se détourne dans les bras de la duchesse de Fontanges.
Devant l'échec évident du procédé, la maîtresse délaissée envisage peut-être des moyens plus expéditifs : sa rivale meurt bientôt à son tour. Le roi, qui n'en est pas à son premier attentat, devient alors franchement méfiant vis-à-vis de la marquise. Dans sa velléité d'étouffer le scandale désormais inévitable, il fait expurger les dossiers des pièces les plus compromettantes, qu'il brûlera de sa propre main dans une cheminée de Versailles peu avant de mourir en 1715, et invite la Chambre ardente à se prononcer instamment sans rien savoir.
Les magistrats, sentant le vent tourner, soucieux de ne pas mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce, se déclarent finalement incompétents. Le roi tranche de sa seule autorité : la disgrâce déguisée pour la Montespan, l'exil pour les complaisants, la mort pour les sous-fifres.
L'Affaire des poisons intervient dans un moment où l'État cherche à se libérer des préventions d'une opinion encore superstitieuse. Soucieux du rayonnement culturel du royaume, éclairé par l'exemple des puissances protestantes chez qui les entraves de la religion n'étaient pas toujours aussi prononcées qu'en terre catholique, les esprits aussi braqués contre les innovations littéraires et scientifiques — en témoignent les difficultés pour Molière de faire jouer son Tartuffe ou encore l'absence de progrès dans la machinerie agricole au cours du XVIIᵉ siècle français —, Colbert voulut imposer l'évolution des mentalités. La persistance d'une méfiance tenace envers de prétendus faits de sorcellerie ne s'atténuera qu'avec le développement de l'instruction publique.
Sources :
Simone Bertière, Les reines de France au temps des Bourbon, t. II, éd. de Fallois
Albert Malet et Jules Isaac, Histoire des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, éd. Hachette
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