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Même si l'épreuve nous transforme parfois en victime provisoire, chacun doit ensuite choisir, s'il veut grandir, de s'inscrire de nouveau dans l'énergie du " oui à la vie ". Alors, l'apprentissage de la responsabilité le conduira de " l'enfer, c'est les autres " au ciel intérieur de la maturité spirituelle.
Dans un de ses ouvrages sur l’estime de soi, le psychologue Nathaniel Branden raconte l’histoire de deux frères élevés par le même père alcoolique. L’un des deux avait suivi les traces de son père alors que l’autre ne " touchait " pratiquement jamais à l’alcool.
A un psychologue qui cherchait à comprendre comment ces deux frères élevés dans la même famille avaient ainsi divergé,
le premier répondit : " Voyez-vous, on pourrait dire que je suis devenu alcoolique sur les genoux de mon père ".
La réponse du second fut : " Voyez-vous, j’ai vu ce que l’alcool avait fait de mon père, et j’ai décidé que je ne serais jamais comme lui ".
Le refus de la mentalité de victime, la décision d’assumer la responsabilité totale de sa vie est un choix qui peut mûrir pendant des années. Mais le jour où vous dites : " Je suis entièrement responsable de ma vie " sera peut-être le jour le plus important de votre existence.
Il importe tout de suite de définir le terme de responsable.
Pour moi, être responsable signifie " être capable de répondre avec intelligence, créativité et amour à toute situation ou rencontre qui se présente dans notre vie ".
Cela ne veut pas nécessairement dire que l’on a causé la situation en question, mais qu’on assume la responsabilité entière et totale de notre réaction ou réponse à la situation.
Une personne peut être objectivement victime d’une situation donnée : un tremblement de terre, un vol, un abus sexuel ou une maladie débilitante. A ce moment, elle a le choix de réagir subjectivement comme une victime : " Pauvre de moi, ce n’est pas ma faute, que vais-je devenir, ce n’est pas juste, … " ou de choisir de réagir subjectivement de façon responsable.
Victime du systèmeSi une personne avait le droit de se sentir totalement victime du système, ce serait Roger Mc Gowen, un condamné à mort noir américain avec qui je corresponds depuis 5 ans et qui est devenu un vrai maître spirituel pour moi. Depuis 16 ans, Roger croupit dans le couloir des condamnés à mort pour un crime qu’il n’a pas commis, on en a maintenant les preuves. Comme beaucoup de noirs pauvres, il a eu un avocat commis d’office. Ce dernier ne l’a pas visité une seule fois avant le procès et a préparé sa plaidoirie sur la base du rapport de police… Il s’est également endormi pendant le procès de son client (un juge d’une cour du Texas a jugé qu’il n’était pas anticonstitutionnel pour un avocat de s’endormir pendant le procès de son client !). Alcoolique notoire, il s’est vanté d’avoir eu plus de clients condamnés à mort que n’importe quel autre avocat américain. Roger a fait appel, bien sûr et il a eu un autre avocat commis d’office qui n’a pas donné le moindre signe de vie pendant cinq ans après lesquels Roger réussit finalement à l’atteindre pour s’entendre dire : " Oh, j’ai décidé de ne pas prendre votre cas car un des policiers sur l’affaire est un de mes meilleurs amis ". Cinq années d’attente pour rien.
Je ne décrirai pas ici les conditions terribles des prisons texanes (plusieurs sites sur le Net le font), la brutalité et la violence constantes, les injustices criantes, la nourriture inacceptable sous l’angle nutritionnel. Un voisin de Roger qui devait être exécuté un mercredi eut une crise cardiaque le dimanche soir. On l’amena en toute vitesse à l’hôpital pour le remettre sur pied pour son exécution… Dire qu’il vit dans un enfer n’est pas une métaphore, c’est la description de la prison de la Alan Polunsky Unit de Livingston.
De l’enfer ou du cielPourtant, Roger m’écrivait en octobre 1999 : " Je crois que chacun est responsable de sa vie… A un moment, j’étais une victime et je commençais à me sentir comme telle, blâmant tous les autres pour mes problèmes. Mais j’ai réalisé que je devais prendre la responsabilité de mes actions, et que c’était la seule façon de ne plus me sentir victime… Chaque jour, je trouve quelque chose pour laquelle remercier la providence. Quand il fait froid, que les autres s’en plaignent et ne veulent pas sortir du lit le matin, je me roule en bas de mon lit et je commence à faire des pompes. Et tout le temps, je remercie Dieu d’avoir froid et de ressentir le froid. Car beaucoup de nos gars qui, l’année passée, se plaignaient du froid, ne sont plus là pour s’en plaindre (ils ont été mis à mort). Chaque journée et tout ce qu’elle contient est une bénédiction… Nous sommes responsables de tout ce qui entre dans notre vie car ce que nous laissons y entrer forme notre existence. C’est nous qui choisissons si ces choses sont de l’enfer ou du ciel ".
L’énergie du " oui "Etre victime ou responsable dépend avant tout de l’interprétation que nous faisons des événements de la vie. C’est un choix (conscient ou inconscient) que chacun peut et doit faire à longueur de journée. Comme l’a dit si simplement le Dalaï Lama, " il n’y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n’y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel ". La manière dont je lis le ciel – comment j’interprète les événements de la vie – relève de notre libre arbitre, donc de nos choix.
J’ai découvert l’énergie extraordinaire du " oui " par une des expériences les plus fortes de mon existence. Depuis 33 ans, je me soigne avec une médecine spirituelle très efficace. Il y a une quinzaine d’années, j’ai commencé suite à un effort physique violent, à avoir des douleurs dans la région cardiaque et un état d’épuisement total. Pendant deux à trois jours, je me suis littéralement traîné – même me lever d’un fauteuil était un effort. Soudain, une inspiration soudaine et irrésistible me poussa devant une grande baie vitrée qui donne sur toute la ville et les montagnes avoisinantes. Bras et jambes écartés, je dis " oui " à haute voix, à absolument tout ce qui pouvait exister et rentrer dans ma vie, pendant plusieurs minutes. Non seulement j’eus une guérison instantanée, mais je découvris l’énergie vitale et cosmique du " oui ", qui est devenue l’affirmation la plus fondamentale de ma vie.
Une approche spirituelleLa très grande majorité des spiritualités et religions de la planète sont dualistes. Dieu, le " ciel ", le " salut ", " l’illumination " sont au sommet d’une montagne élevée et escarpée qu’il s’agit de gravir plus ou moins péniblement avec l’espoir d’atteindre un jour le sommet (parfois après de nombreuses réincarnations selon les systèmes de croyance).
La réalité est duale : Dieu et l’homme, le bien et le mal, le ciel et l’enfer, la vie et la mort, l’esprit et la matière, etc.
Dans les rares enseignements non dualistes, tout est " un ", tout est l’expression infinie d’une réalité divine fondamentale, cosmique qui soutient toute chose. Cette vision se trouve dans certains enseignements du bouddhisme zen ou de l’hindouisme védantiste, représenté entre autres par le grand maître spirituel Ramana Maharshi (1), certains enseignements soufistes, le tantrisme shivaïte décrit dans le beau livre de Daniel Odier, Tantra, et certains grands mystiques dans de nombreuses traditions. Nous sommes déjà au sommet de la montagne, nous sommes déjà un avec l’" un " infini et seul le brouillard nous empêche d’en prendre conscience. Le chemin spirituel ne consiste pas à grimper la montagne, mais à simplement chasser le brouillard.
La vraie croissance" La réalisation (l’illumination) n’est pas dans l’acquisition de quelque chose de nouveau, ou dans une nouvelle faculté. Elle réside simplement dans la suppression du camouflage " explique Sri Ramana Maharshi. " Vois l’" un " en toutes choses, c’est le second (la dualité) qui t’égare " dit le maître soufi Kabir. " Même si tu traverses l’une après l’autre toutes les étapes du Bodhisattva dans sa progression vers l’état-Bouddha – dans un éclair d’illumination, tu atteindras la pleine réalisation – à ce moment, tu ne feras que réaliser ta Nature-Bouddha originale, qui a toujours été avec toi " écrit Huang Pô, le maître de l’école Rinzaï du Zen.
Dans la tradition chrétienne, la seule formulation complète et claire d’un non-dualisme chrétien est représenté par l’ouvrage de la métaphysicienne Mary Baker Eddy, Science et santé, avec la clé des Ecritures. Cet ouvrage étonnant, traduit en 17 langues, est peut-être unique dans les annales de la littérature religieuse mondiale. En effet, les cent dernières pages du livre sont uniquement constituées de récits de personnes guéries de toutes les maladies imaginables simplement en lisant le livre.
En effet, Eddy y présente les grandes lois spirituelles de l’univers que chacun peut apprendre et démontrer pour lui/elle-même, dans tous les domaines de la vie (2). " Débarrassons-nous de la croyance que l’homme est séparé de Dieu, et n’obéissons qu’au principe divin, la Vie et l’Amour. Voilà le grand point de départ de toute vraie croissance spirituelle " écrit-elle.
Dans une vision spirituelle non dualiste, la dualité victime/responsable ne peut même pas exister. Je ne suis ni victime, ni responsable ! En effet, être victime implique que je suis un pauvre mortel qui se débat au milieu de difficultés insurmontables. Etre responsable implique que je dois faire des choix entre de bonnes et de mauvaises possibilités, le bien et le mal, ce qui constitue encore le monde de la dualité. Mais dans l’optique non dualiste, nous n’avons qu’à être, qu’à refléter le divin. Tout est " amour infini " et " sa manifestation infinie ". Un edelweiss qui fleurit à 3000 mètres dans la fente d’un rocher sera beau simplement parce que c’est sa nature, même s’il meurt sans jamais avoir été admiré. Il EST beau.
Victime ou responsable ?Accepter d’être victime, c’est vivre dans l’énergie du " non ", qui est fermeture à la vie, blocage, crispation, immobilité, résistance, enfermement, refus, rejet, peur, (f)rigidité, froideur, vide, manque, doute, incapacité, ingratitude, etc.
Etre responsable, c’est vivre dans l’énergie du " oui ", qui est ouverture totale. La vie dans le " oui ", c’est le mouvement, lâcher-prise, opportunité, grand large, contact, flux, acceptation positive, permission, embrasser, confiance, risque, courage, souplesse, clarté, générosité, créativité, etc.
Pierre Pradervand