Esprit critique, es-tu là ? La chasse aux fantômes est ouverte, et ce ne sont pas des mythomanes invétérés, des hallucinés de la mescaline qui la mènent, non, ce sont de vrais scientifiques estampillés Education nationale. Outre les ectoplasmes, leur champ d'investigation, immense, comporte tous les phénomènes prétendument paranormaux ou métapsychiques : spiritisme, transmission de pensée, voyance et prédictions, radiesthésie, psychokinèse ou télékinèse (déplacements d'objets, torsions de métaux à distance...).
Ils prennent les astrologues à leur propre jeu (1) et traquent les phénomènes naturels pris pour des manifestations « ufologiques ». Un chantier colossal car, au pays de Descartes, l'irrationnel est toujours très présent. Il suffit de dénombrer les rubriques astrologiques dans la presse pour s'en persuader.
Nos « ghostbusters » ont beaucoup de chance, leur laboratoire se trouve sur le plus beau campus de France : celui de la faculté des sciences de Nice, située près des arènes de Cimiez, à Valrose. Pour rejoindre le professeur Henri Broch, physicien et docteur ès sciences, dans son labo, il faut laisser, à gauche et à droite, quelques palmiers et autres plantes exotiques, de magnifiques pelouses, un château, des plans d'eau (avec canards), de petits ponts bucoliques (avec amoureux) et même de vrais-faux vestiges grecs (sans éphèbes).
Détecteur d'eau bénite
La cinquantaine barbue, passionné et malicieux, Henri Broch nous reçoit dans son antre magique. Son bureau recèle plusieurs faux suaires de Nice à la mode de Turin, un faux moulage ectoplasmique, des pendules et des baguettes de radiesthésie, des illusions d'optique, des bouts de bois qui bougent tout seuls, une cuillère prête à être tordue, mais enfermée dans une grosse ampoule en verre (au cas où le médium serait tenté de faire de trop près ce qu'il prétend réaliser à distance)... Sans oublier un « détecteur d'eau bénite » - un fil de fer qui peut instantanément prendre la forme d'une croix dès lors qu'il entre au contact de l'eau. Il s'agit en fait d'un métal à mémoire auquel on peut donner n'importe quelle forme mais qui, porté à une certaine température, avec la chaleur de la main, de l'eau chaude ou du feu, reprendra sa forme originelle. Sur l'un des murs, une grande photo montre Henri Broch en personne marchant sur des braises, «
un phénomène qui n'a rien de surnaturel ni de psychique, dit-il,
même s'il y a toujours de faibles chances de se brûler ! »Avec le soutien amical de deux prix Nobel français, les physiciens Pierre-Gilles de Genne et Georges Charpak (membres d'honneur du laboratoire), Henri Broch a créé en 1998 la première structure universitaire française de zététique, un mot qui vient du grec et qui signifie chercher. Selon le Littré, la zététique est la
« méthode dont on se sert pour pénétrer la raison des choses. » Sa devise pourrait être : « Je doute donc je suis. » Et le paranormal dans tout ça ? «
Lorsque que j'ai commencé mes études scientifiques, j'ai compris que le paranormal, qui me fascinait jusque-là, pouvait, devait, être remis en
cause, raconte-t-il.
J'ai commencé à m'apercevoir que les expériences étaient souvent bidon, que les références n'étaient pas sérieuses, les citations tronquées...
» C'est ainsi que lui est venue l'idée d'enseigner la méthodologie scientifique à travers l'étude des phénomènes paranormaux. La tâche est immense : selon lui,
« la plupart des étudiants pensent que la relativité est une spéculation et que la psychokinèse a un fondement scientifique ! »Plus de 3.000 étudiants ont appris la zététique depuis 1993, cinq années avant la constitution du laboratoire. Leurs travaux, plus astucieux les uns que les autres, reproduisent certains phénomènes (télépathie, lévitation, télékinésie, le déplacement des statues de l'île de Pâques...) et s'accompagnent toujours d'une enquête sur la perception qu'en a le public, qui, il faut le reconnaître, se laisse souvent berner.
Le prix Défi
Si les tenants du paranormal réfutent ces expériences objectivement « truquées », le laboratoire a même convié les personnes arguant d'un quelconque pouvoir à venir le démontrer devant les scientifiques. En cas de succès, le mécène du laboratoire, Jacques Theodor, un ancien chercheur du CNRS, a même offert un prix : de 500.000 francs lors des débuts en 1987, la somme a été portée à 200.000 euros en 1999. Ce prix Défi a été arrêté en 2002 par
« lassitude » - Henri Broch passait beaucoup de temps à l'organiser au détriment des autres activités du laboratoire.
« Nous avons reçu 264 dossiers de candidature, mais seulement une quarantaine de personnes ont effectué un test dont ils ont accepté au préalable le protocole », résume Henri Broch. «
Ainsi, la deux cent soixante-quatrième pouvait prédire les numéros du Keno. Je lui ai demandé pourquoi elle ne jouait pas. Elle m'a répondu que si elle le faisait pour elle-même, elle craignait de perdre ses pouvoirs. Elle n'a pas eu besoin de venir : elle m'appelait le matin lorsqu'elle était en transe et on vérifiait ensuite. L'un de nous a obtenu deux fois de meilleurs résultats qu'elle ! »
Plusieurs candidats prétendaient momifier des citrons par imposition des mains, l'un travaillait sur les « ondes biologiques électromagnétiques », un autre affirmait pouvoir faire exploser une voiture à distance (il a finalement consenti à un exercice moins violent : essayer de déplacer un lingot d'or par la force de son esprit), un dernier détectait à coup sûr les sources d'eau... Que des échecs !
« Une fois, nous nous sommes vraiment méfiés, se souvient Henri Broch.
Il s'agissait d'un professionnel de l'hypnose et de la parapsychologie. Il devait faire de la télépathie. Nous l'avons séparé de sa médium, que nous avons placée au sein d'un autre bâtiment dans une cage de Faraday, pour faire obstacle aux ondes électromagnétiques. Deux médecins les ont déshabillés puis leur ont fourni d'autres vêtements. Enfin l'hôpital de Nice était prêt à faire un scanner afin de vérifier qu'aucun émetteur n'avait été implanté sous la peau. Nous n'en avons pas eu besoin, la séance de télépathie fut un fiasco. »Les contempteurs d'Henri Broch estiment que si les expériences ont échoué dans le laboratoire, cela ne signifie pas que les phénomènes n'existent pas, mais simplement qu'ils ne sont pas reproductibles dans ces conditions. Le « débat » entre les deux « camps » suscite d'innombrables polémiques.
« Ce n'est pas à nous de démontrer que les phénomènes paranormaux n'existent pas, cela n'a aucun sens ! s'amuse Henri Broch.
L'absence de preuves n'est pas la preuve de l'absence. » Autrement dit, aux auteurs de ces prétendus phénomènes de prouver qu'ils existent.
« Les parapsychologues prétendent être en mesure d'effectuer des tests, mais on se rend compte que, le plus souvent, le protocole qu'ils établissent est d'une pauvreté méthodologique à pleurer ! »Le Loto du professeur
Quant aux cas historiques de médiumnité, ils n'ont, selon l'universitaire, aucun intérêt aujourd'hui parce que les méthodes d'observation des siècles précédents étaient limitées.
« Il y a bien un constat d'huissier qui prouve que j'ai prédit les chiffres du Loto ! », sourit Henri Broch. Comment a-t-il fait ? Première étape, il s'est envoyé une enveloppe (non cachetée) quelques jours avant le tirage pour avoir ainsi le cachet de la poste sur l'enveloppe. Deuxième étape, sur l'enveloppe il a décollé un petit rectangle de papier sur lequel figurait son adresse et qui masquait une autre adresse, celle du quotidien « Nice-Matin ». Troisième étape, il a inscrit sur une lettre les résultats du Loto une fois ceux-ci énoncés, puis inséré ce courrier dans l'enveloppe, qu'il a déposée dans la boîte aux lettres du quotidien. Quatrième étape, le cachet de la poste faisant foi, les journalistes de « Nice-Matin » ont constaté, avec un huissier, qu'on leur avait posté les bons résultats avant le tirage du Loto.
« On ne peut réduire les phénomènes que l'on dit aujourd'hui paranormaux à des jeux de salon pratiqués après un repas bien arrosé ! s'insurge Bertrand Méheust, philosophe qui se dit « compagnon de route » de la métapsychique
.
On peut critiquer les expériences, les trouver mal construites, mais on ne peut pas les ignorer absolument. Je reste moi-même sur la réserve quant à la médiumnité physique (télékinésies, ectoplasmes...). En revanche, la quantité d'informations accumulées depuis plus de deux siècles sur la médiumnité intellectuelle (c'est-à-dire la télépathie, la clairvoyance ou la précognition) me conduit à la considérer comme hautement probable. Il faut le répéter, ceux qui s'intéressent à ces sujets ne sont pas nécessairement des fous et ils ne souhaitent pas forcément nous plonger dans l'obscurantisme ! »S'il réfute le pouvoir de l'esprit sur la matière et toute possibilité de transmission d'un esprit à un autre, Henri Broch admet que des phénomènes se produisent qui échappent à la raison.
Selon lui, l'esprit peut dominer le corps. Et Henri Broch d'évoquer notamment deux « fakirs » qui, dans des conditions d'observation scientifique, se transperçaient l'abdomen de part en part avec une épée, sans dommages pour les organes ni saignements une fois les épées retirées. Ainsi pourraient s'expliquer également les cas de guérison de personnes condamnées par la médecine.
« A Lourdes, on évoque de nombreux miracles, dont la Vierge Marie n'est pas nécessairement l'auteur, analyse le chercheur.
Il faudrait déjà vérifier que la guérison s'est bien produite là et pas ailleurs ni après. Ensuite, il faudrait procéder à un calcul de statistiques : combien de personnes atteintes du même mal sont passées à Lourdes et combien ont été guéries ? Ce résultat devrait être comparé avec le taux de guérisons spontanées de personnes suivies dans les hôpitaux pour la même maladie. »D'une manière générale, Henri Broch regrette que le miracle, voire la prédiction réussie, éclipse absolument tous les échecs.
« Quand la prédiction d'un médium est avérée, il faudrait aussi savoir combien de fois il s'est trompé ! Ce que l'on ne nous dit jamais, regrette-t-il
. Pour être tout à fait juste, il faudrait connaître le nombre de prédictions faites dans le monde, ce qui permettrait de ne pas s'émerveiller quand l'une est vérifiée. » Comme le rappelle Henri Broch
, « nul n'a le pouvoir de se tromper tout le temps » !
Source de l'article : http://www.lesechos.fr/weekend20051209/swe_culture/4349964.htm