Le quiétisme

Le quiétisme s'inscrit dans les élans de mysticisme du XVIIᵉ siècle, le « Grand siècle des Âmes », et qui n'est pas sans rappeler les mouvements contemplatifs du Moyen-Âge. Il serait presque passé inaperçu s'il n'avait impliqué l'un des plus hauts dignitaires de l'Église et pensionnaire éminent de l'Académie française.

Prélat prometteur, précepteur d'un héritier présomptif au trône de France en 1689, sacré prince-archevêque de Cambrai en 1695, l'ascension de Fénelon fut compromise, à partir de 1697, précisément à cause des développements de l'affaire du quiétisme. Le promoteur du mouvement était le théologien espagnol Molinos, dont les écrits furent condamnés à Rome en 1687. Sa doctrine fut répandue en France par une jeune veuve, Mme Guyon.

La doctrine quiétiste. — La doctrine quiétiste proposait une méthode qui permît au chrétien de se mettre en contact étroit avec Dieu, jusqu'à communion totale : l'état à atteindre s'appelait l'état d'oraison. On y parvenait en faisant le vide autour de soi par une passivité absolue. Une semblable méthode impliquait le renoncement à des formes actives de piété comme la prière, et une indifférence complète à tout ce qui ne favorisait pas le bonheur mystique, donc au salut même et aux moyens traditionnels de le mériter : recherche de la perfection morale et pratique des sacrements. En 1688, Mme Guyon, sur la plainte de l'archevêque de Paris, fut enfermée pour quelque temps au couvent de la Visitation. Cet internement lui valut une certaine célébrité. Peu après sa libération, ses idées se répandirent et séduisirent un groupe de grandes dames, parmi lesquelles Mme de Maintenon qui devait, par la suite, se reprendre violemment.

Le quiétisme et Fénelon. — Fénelon fut entièrement et définitivement conquis : le quiétisme fixa sa discipline intérieure. Il ne fut pas insensible au caractère excessif de la doctrine et de sa zélatrice : il joua d'abord auprès de Mme Guyon le rôle d'un directeur et d'un correcteur ; par des mises au point et des précautions, il s'efforça de concilier la méthode quiétiste avec l'orthodoxie catholique. Mais pour lui-même il s'abandonna aux nouveautés de l'oraison silencieuse et à la pratique du « pur amour ». Mme Guyon devint vite la directrice de Fénelon, sa dispensatrice de grâce, sa « mère » : leur correspondance nous renseigne sur le développement et les altérations de ce climat mystique.

Bossuet contre Fénelon. — La lutte contre le quiétisme fut dirigée par Bossuet, qui jugeait les pratiques de Mme Guyon choquantes pour le bon sens comme pour la dignité de la religion. Il joua un rôle important à la conférence d'Issy qui, réunie en 1694-1695, aboutit à la condamnation de trente-quatre propositions quiétistes et à un nouvel internement de Mme Guyon. Dès la fin de 1695, elle tente de s'évader et cette fois est enfermée à Vincennes. À cette date, Fénelon fait figure de protecteur indulgent, mais il n'est pas personnellement menacé. Bientôt pourtant la publicité donnée à l'affaire l'oblige à prendre position : en 1697, il publie l'Explication des Maximes des Saints, ouvrage tout empreint de mysticisme quiétiste, tandis que Bossuet condamne explicitement sa doctrine dans son Instruction sur les états d'oraison, puis sa Relation du Quiétisme. En avril 1697, Fénelon remet sa cause au jugement du pape : ce geste déplaît au roi, qui l'exile dans son évêché en lui imposant obligation de résidence, puis fait pression sur le Saint-Siège qui condamne la doctrine en mars 1699.

Malheureusement, le bouquin où j'ai trouvé ces informations parle essentiellement de littérature — mon disque dur regorge de notes et de textes de ce genre, mais je n'ai pas toujours eu la présence d'esprit d'en préciser les sources — et le passage que je cite ne fait partie que d'une biographie indicative de Fénelon.

J'ai essayé d'interpréter les 'recommandations' du quiétisme en lisant la Bible — et aussi en m'efforçant de me souvenir de mon catéchisme — et, presque instinctivement, me vient à l'esprit le principe selon lequel, lorsque tu reçois une gifle, tu dois — devrais ? — tendre l'autre. De là, on peut imaginer toutes sortes de 'passivité' et, comme la doctrine quiétiste n'était pas bien perçue à Rome, elle ne fut jamais définitivement fixée.

Après quoi il faut tenir compte des mentalités du temps. On peut par exemple imaginer la renonciation à un douaire ou à un bénéfice et donc à son élévation dans la société d'Ancien Régime, le refus de suivre les innovations de toutes sortes et ainsi s'exposer aux médisances — le paraître à l'époque était déjà un mode de vie — qui prenaient parfois des proportions aujourd'hui incompréhensibles, voire remettre en pratique des formes disparues de piété comme le pélerinage ou le vœu de pauvreté qui, par essence, expose à toutes les aventures.

Partiellement, oui. Pour le côté détachement-des-choses-matérielles-de-ce-monde. Mais l'idée de passivité absolue semble ici éclipser l'amour du prochain et le principe d'actions vers le Bien qui, eux, sont le véritable enseignement du Christ.

Sans doute. Cependant, le quiétisme était bel et bien une spécificité doctrinale chrétienne.

Fénelon, à l'époque, a lui-même donné l'exemple d'une conciliation possible entre ces... 'innovations' et l'esprit de charité : ses initiatives au cours de la guerre pour la succession d'Espagne (1702-1714) qui visaient notamment à secourir les blessés abandonnés sur les champs de bataille, sans se soucier des uniformes, ont quelque chose de noble qu'on ne verra plus avant Henri Dunant à Solferino. Mais Fénelon était un érudit à la foi ardente.

L'Église, elle, plus lucide sur l'impact à long terme de cette passivité préconisée par le quiétisme, sans même parler de tartufferies, a peut-être justement cherché à éviter ce qu'il adviendra au XIXᵉ siècle des civilisations asiatiques si enclines à la méditation et qui, d'ailleurs, était déjà à l'œuvre en Amérique : le champ libre à la colonisation — la Russie, au XVIIᵉ siècle, venait tout juste de se révéler à la conscience mondiale et apparaissait désormais comme une menace plus redoutable encore que l'islam au Moyen-Âge —. Le quiétisme, poussé dans ses extrêmes, enseignait bien l'absence de réplique aux agressions, à quelque échelle qu'elles se fassent et, partant, contenait en germe la contestation des missions entreprises pour évangéliser les Africains, les Indiens, les Chinois.

Beaucoup de raisons, donc, pour pousser les rois à obtenir la ferme condamnation de telles doctrines en cour de Rome.

Sauf qu'au XVIIᵉ siècle la Contre-Réforme se poursuit. L'Église catholique ne pouvait pas faire preuve d'indulgence pour une doctrine particulière alors qu'elle cherchait justement à répondre par la plus grande fermeté aux erreurs et aux abus que dénonçaient les théologiens protestants en cherchant à fixer les articles de foi.

La lutte pour faire accepter partout les décrets du concile de Trente, notamment ceux concernant la lithurgie, n'étaient pas terminée. L'Église catholique ne pouvait pas laisser des tiers inventer de nouvelles formes de piété alors qu'elle s'acharnait à y mettre bon ordre. Or le quiétisme préconisait bien le refus des formes actives de piété : la confession et surtout la prière.

La papauté n'avait pas voulu voir l'ampleur de la contestation quant à son fonctionnement et la Réforme évangélique lui avait échappé très tôt pour finalement se faire à ses dépens. L'Église catholique ne pouvait pas se permettre un nouveau schisme et rejetait toute innovation qu'elle n'aurait pas directement inspirée.

Quant à la monarchie, on comprend aisément les raisons qui l'ont poussée à l'intransigeance. D'abord, il faut savoir que le quiétisme avait séduit un nombre assez important des membres de la cour, et jusqu'à la seconde femme du roi qui en avait donc une connaissance assez précise. Du principe du droit divin, ce dernier tirait sa légitimité à commander à ses sujets : tolérer la passivité absolue, c'était donc accepter sciemment qu'on lui désobéisse (crime de lèse-Majesté selon la casuistique du temps) par défaut de réaction. L'éventualité parrassait d'autant plus grave que, le roi étant le lieutenant de Dieu sur la terre, lui désobéir c'était désobéir à Dieu Lui-même.